Il me paraît intéressant de livrer aux membres de ce forum les deux récits que font de l' événement du 23 août 1944 le général de Monsabert et le général Schaefer :
Rappel des faits : Sachant que les F.F.I. ont entrepris de parlementer avec le consul général d’Allemagne von Spiegel prisonnier, le colonel Chappuis décide de reprendre la discussion à son compte et demande au capitaine Crosia, officier de renseignements du régiment, d’établir un contact directement avec le général Schaefer. Jean Crosia réussit à se rendre à la poste Colbert, tenue par les Allemands. Il arrive à obtenir la communication avec le poste de commandement du général Schaefer et conclut avec lui un arrangement. Stupéfait d’avoir un officier français à l’autre bout de la ligne, Schaefer accepte une suspension d’armes. Crosia fixe un lieu de rendez-vous le quai des Belges où son chef, le colonel Chappuis devrait rencontrer le général Schaefer à 16h00. Au Cap Janet, Schaefer se prépare à la rencontre. Chappuis, sachant que le général de Monsabert est entré dans Marseille fait alors savoir au général Schaefer qu’il ne s’estime plus compétent pour négocier et que de Monsabert doit être l’interlocuteur de Schaefer, lequel propose que l’entrevue ait lieu à 18h00 au Fort Saint-Jean. Elle aboutira à un échec, les Français requérant la capitulation des forces allemandes sans conditions. À 19h05 les combats reprennent mais le moral du général Hans Schaefer est fortement ébranlé.
Dans ses notes de guerre, le général de Monsabert décrit cette rencontre ainsi : « Un capitaine, polonais, me dit-il, se présente « à l’hitlérienne » pour me mener au général. Nous remontons derrière lui le côté droit du Vieux-Port jusqu’au fort Saint-Jean. Schaeffer (sic) est là, flanqué d’un membre de la Gestapo. Salut hitlérien. Je me sens grandi devant lui. Quelle revanche ! Mes yeux ne le quitteront pas. Il parle de population à ménager, à quoi je lui rétorque qu’il n’y a qu’un moyen, c’est qu’il se rende. Il ergote sur le rôle des F.F.I., et je lui dis les tortures infligées par les allemands aux femmes d’officiers qui faisaient leur devoir. C’est avec une joie féroce que je lui dis qu’en cela les Allemands ne s’étaient pas conduits en soldats, comme les soldats allemands d’autrefois. Enfin, je romps la conversation sur une dernière injonction d’avoir à se rendre. À propos de cette entrevue, le général de Monsabert m’écrira en juin 1964: « ces discussions entre soldats ne sauraient entamer l’estime réciproque qui s’est établie entre Schaefer et moi, et je serais heureux que vous vouliez bien lui transmettre ma sincère considération »
Le fait que le général Schaefer se présente à Monsabert en faisant le salut hitlérien peut s’expliquer par le fait qu’à dater du 23 juillet 1944, le « Heil Hitler ! » a été́ officiellement introduit à la place du salut militaire, sur ordre du commandement des forces armées allemandes (Keitel) après l’attentat de Stauffenberg, cela pour apporter un signe extérieur des liens entre l’armée et le Führer. Lire à ce propos Ian Kershaw, La fin, Allemagne 1944-1945, Paris, éd. Seuil, 2012, p. 75. Lire également le récit de cet événement que fait Jacques Robichon dans son ouvrage sur le Débarquement de Provence, pp. 265-270.
La version du général Schaefer est, on s’en doute différente. Je le cite : «Je reçois un appel téléphonique du consul von Spiegel au cours duquel il m’est demandé de rencontrer un colonel français (Chappuis) afin de discuter des moyens à mettre en œuvre pour atténuer les effets de la bataille au sein de la population civile. Je donne mon accord pour une telle entrevue, bien que n’attendant qu’avec scepticisme un résultat positif vu l’entrée en ville des troupes adverses. La rencontre fut reportée pour permettre au commandant de division français ayant fait son entrée dans la ville de me rencontrer à la place du colonel. La rencontre eut lieu au Vieux-Port. Sans entrer en matière sur l’objet de l’entrevue, le général français qui s’est avéré être le général de Monsabert, commandant de la 3e division d’infanterie algérienne, me demande de parvenir au plus vite à une cessation des hostilités. Sans répondre à cette surprenante (sic) question, je lui répondis en revanche qu’à mon grand regret, vu le comportement de la résistance française que nous ne pouvions en aucun cas reconnaître comme troupe régulière, j’avais été contraint d’inclure la ville de Marseille dans la zone des combats et d’ordonner des tirs de riposte. J’ajoutai que la présence de formations régulières de l’Armée française n’y changerait rien. Sur ce, la rencontre pris fin.»
L' attitude rigide de Schaefer lors de son entrevue du 23 août avec le général de Monsabert est intéressante. Le fait qu’il ait été flanqué pour l’occasion d’un personnage que Monsabert identifie comme étant un membre de la Gestapo l’a peut-être conduit à adopter l’attitude théâtrale qui fut la sienne face à son adversaire afin de démontrer « visiblement » sa fermeté et sa volonté de ne pas capituler. Etait-il déjà suspecté de "mollesse" par les sbires du régime ou la Gestapo ?
Rien ne permet de confirmer ce scénario en l’état actuel de nos connaissances, ce d'autant qu'au moment de la capitulation allemande, la Gestapo avait déjà évacué ses locaux de la rue Paradis. Il est en revanche permis d'avancer une autre hypothèse du fait qu’après l’attentat du 20 juillet 1944 contre Hitler, l’OKW et l’OKH avaient pris une série de mesures énergiques et répressives visant à s’assurer de la fidélité du corps des officiers de la Wehrmacht notamment, par tous les moyens y compris l’intimidation, voire la terreur par la Sippenhaft instituée après l'attentat du 20 juillet 1944. La présence inexpliquée à ce jour d'un personnage en civil aux côtés de Schaefer telle que mentionnée dans ses notes de guerre par le général de Monsabert, pourrait s’expliquer par une mesure de cette nature.