Le ravitaillement des forces italiennes et allemandes en Afrique du Nord tourne au cauchemar.
En mai 1941, les Italiens affrètent coque nue, c'est à dire sans équipage français, trois pétroliers, deux caboteurs et deux remorqueurs totalisant 15.600 tx, pour la totalité de la guerre. Tous seront ultérieurement perdus sous pavillon italien ou allemands.
Les pertes croissent à un tel rythme que les marins italiens donneront le nom de Rotta della Morte aux liaisons Italie - Lybie.
A Berlin, la situation ne prête guère à sourire et les pressions sur Vichy pour que soient livrés à l'Allemagne les 50 navires appartenant à des nations en guerre avec l'Allemagne et réfugiés en Zone Libre ou en AFN.
Dans un premier temps, Vichy cède à l'Allemagne 8 cargos, soit 22.387 tx. Ces navires étaient des navires danois, belges, hollandais ou yougoslaves saisis dans les ports français en 1940. Faute de pouvoir y mettre des équipages allemands, Berlin les rétrocède à Rome. Ils seront tous coulés sous pavillon italien.
Durant les négociations de Wiesbaden, décembre 1941, les Allemands exigèrent, en temps que puissance occupante des pays concernés, la cession de 125.000 tx de navires danois et norvégiens. Ce que refusa le gouvernement de l'amiral Darlan.
A l'été 1942, les Allemands reviennent à la charge en exigeant 135.000 tx tandis que l'es Italiens réclament les navires grecs aux mains des Français. L'ouverture du front de la mer Noire permettaient aux Allemands d'alléguer que ces navires devaient contribuer à la lutte contre le Bolchévisme.
Le 27 août 1942, le président Laval signe les Accords de Nevers qui remettent à leurs "légitimes propriétaires" 29 navires danois, hollandais, norvégiens, belges ou grecs totalisant 103.000 tx. Sur ce nombre, seuls 6 auront ralliés les ports italiens avant le 8 novembre.
Aux lendemains de l'opération Torch, 176 navires marchands français sont bloqués en Zone Libre.
Lorsque les divisions allemandes occupent la côte méditerranéenne, les généraux allemands ont ordre de ne s'intéresser aux navires français que pour leur interdire tout appareillage sans mettre de garde armée à bord.
Le 20 novembre, les Allemands exigent de pouvoir affréter cette flotte désormais inutile à la France. Le président Laval accède verbalement à cette "demande".
Le 21, les amiraux allemands décident de se préparer à la saisie par la force dans le cas où le Gouvernement de Vichy désavouerait le président Laval. Il décide de mettre en route vers Marseille les 150 officiers et les 750 hommes rendus disponibles par l'annulation le 16 de l'opération Gisela (occupation de l'Espagne). Ordre est donné au général qui commande les forces allemandes de se préparer à mettre une garde armée à bord des navires.
Le 22, le président Laval confirme par écrit son engagement oral de l'avant-veille. Il accorde au Reich la libre disposition de 148 navires, 650.000 tx, avec leurs équipages habituels ou du moins avec des équipages de volontaires. Il garde seulement 18 navires, 50.000 tx, pour les besoins français : cabotage sur les côtes méditerranéennes, liaisons avec la Corse et l'Espagne.
Le 1er décembre, à Rome, une réunion germano-italienne avec Goering, Rommel, Cavallero, Riccardo et kauffman, décide de la répartition de cet apport. L'Axe ne dispose plus que 1.000.000 de tx en méditerranée dont 600.000 consacrés au ravitaillement de l'AFN. Pour pouvoir se maintenir en Lybie et Tunisie, Rommel estime que la marine doit livrer 375.000 tx d'approvisionnement par mois. L'apport des navires français permet de doubler la capacité d'emport des flottes de l'Axe. La majorité de ces navires, 500.000 tx, prendra pavillon italien car ils sont seuls en mesure de fournir de nombreux équipages contrairement aux Allemands.
Sans attendre la signature de l'accord entérinant la cession à "l'effort commun" des navires français, les Allemands prennent possession du premier à Bizerte dès le 26 novembre, il s'agit du caboteur pétrolier Sud Est de 627 tx. D'autres vont suivre durant tout le mois de décembre 1942 ainsi qu'en janvier 1943.
Ce n'est que le 23 janvier 1943 que seront signés à Paris les Accords Laval - Kauffman qui cèdent au Reich une partie de la Marine Marchande française.
Cadeau du président Laval aux Allemands : l'affrètement leur est consenti gratuitement et les frais des assurances pour risques de guerre sont à la charge du Gouvernement français.
La procédure de prise de possession est la même pour toutes les unités : une garde armée se présente à bord avec un capitaine de la marine marchande allemande. Sous surveillance des soldats, les marins français se voient accorder une heure pour rassembler leurs affaires et boucler leurs sacs avant de débarquer. Durant ce temps, les deux commandants dressent un inventaire rapide décrivant l'état du navire et les existants à bord, vivres, combustibles, matières consommables, et tout le matériel nécessaire à la bonne exploitation d'un navire marchand. Pendant ce temps, les marins allemands qui sont montés à bord en remplacement de l'équipage français hissent le pavillon allemand. Certains, plus compréhensifs des sentiments de leurs camarades français, après tout on est entre marins et non entre militaires, attendent que ces derniers se soient éloignés pour hisser le pavillon allemand.
Il faut noter :
- que la proposition du président Laval de faire naviguer les navires sous pavillon français avec équipage français ne sera pas appliquée. d'une part, les marins français, quelque soit leur grade, ne manifestèrent aucun empressement à se porter volontaire et d'autre part les Allemands, échaudés par l'entrée en guerre contre l'Axe des territoires français en Afrique n'étaient pas enclins à accepter des volontaires dont ils auraient eu à tenir la fidélité comme suspecte.
- que même les navires destinés à passer sous pavillon italien, appareillèrent de Marseille sous pavillon et avec équipage allemand. L'OKM avait estimé que l'apparition des marins italiens à Marseille, les rancœurs du Coup de Poignard dans le Dos de juin 1940 étant trop vives, pourrait nuire au bon déroulement de l'opération de prise de possession.
Si les précautions prises lors des saisies empêchèrent les sabotages, les Allemands durent avoir quelques surprises désagréables car leurs homologues français "oublièrent" de leur signaler les équipements du bord qui nécessitaient une surveillance particulière car ils auraient du être réparés dans un avenir plus ou moins proche.
Autre mesquinerie, certains officiers ou matelots poussèrent l'impolitesse à rentrer le pavillon français sans ordres. Ce qui fait qu'ils eurent la petite satisfaction morale de s'épargner le spectacle de voir le pavillon français amené par des mains étrangères. Ainsi le pavillon national du cargo-mixte Ipanema fut emporté dans son sac par mon Père. Près de 70 années plus tard, il est toujours en ma possession.
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Alain