Je vous livre cette anecdote qui date de l’année 1964 et permet une nouvelle fois d’illustrer les personnalités du général de Monsabert et de son adversaire allemand Hans Schaefer :
Les conditions de reddition imposées par le général de Monsabert au général Schaefer, telles qu’elles sont rédigées dans le document daté du 28 août 1944, stipulent à l’article VII ce qui suit : « La 244ème Division s’étant vaillamment comportée au cours des derniers combats, le général Schaefer est autorisé à conserver ses armes personnelles. »
À 13h00, les colonnes de prisonniers gagent le camp de Sainte-Marthe sous la conduite des tirailleurs algériens du 7ème R.T.A. Le général Schaefer a décrit cet épisode dans une lettre qu'il m'adressa : « Les officiers de mon état-major ont été contraints de rejoindre Toulon à pied en passant par la montagne en portant leur paquetage. En raison de la grande chaleur, deux officiers sont morts en cours de route et plusieurs autres ont été conduits à l’hôpital. L’amiral Lambert, responsable de la côte sud, me dépouilla de mon pistolet nonobstant l’ordre donné par le général de Monsabert qui m’autorisait à le porter en captivité en reconnaissance de la vaillance de mes troupes au cours des combats ».
Quelques mois plus tard, j’ai eu l’occasion de faire part au général de Monsabert de la teneur des propos du général Schaefer.
Le 12 septembre 1964, de Monsabert réagissait vivement et m'écrivait :« La conduite inqualifiable de l’amiral Lambert – que je ne connais pas – vis-à-vis du général Schaefer est en même temps une injure à mon endroit, c’est la négation de la valeur d’un acte signé par les auteurs ; elle ne déshonore que celui qui s’en est rendu coupable »
Ayant informé le général Schaefer de cette réaction, il m’admoneste vivement dans le courrier qu’il m’adresse le 28 septembre 1964 : « Vous n’auriez pas dû évoquer l’affaire de mon pistolet avec le général de Monsabert. Je vous en avais informé juste pour vous décrire l’ambiance du moment. J’espère qu’il ne pense pas que j’attende de lui qu’il me rende ce pistolet et qu’il m’en veuille. »
Toutefois, dans une lettre du 29 octobre 1964, il ne peut cacher sa satisfaction en ayant pris connaissance de la réaction du général de Monsabert : « J’ai été très agréablement surpris en prenant connaissance de la position si critique du général de Monsabert à l’égard de l’amiral Lambert – je suis certain qu’il s’appelait ainsi – et sa réaction illustre le caractère chevaleresque de mon adversaire d’alors ».
Les années passent.... Sept ans après, toujours pas de trace du fameux pistolet.
Après avoir évoqué une nouvelle fois cet épisode avec lui, Schaefer me répond le 23 février 1971 : « S’agissant de l’affaire de l’amiral Lambert, je n’y pense plus. Tout ça est si lointain maintenant que plus personne ne peut se souvenir des événements. Je suis d’avis qu’il est stérile de déballer tout ça à nouveau. Je vous remercie mille fois d’avoir tenté de retrouver les coordonnées de l’amiral. Je vous prie de laisser tomber; ça ne pourrait aboutir qu’à de nouvelles complications et raviver les vieilles rancunes. Et quoi qu’il en soit, mon pistolet ne me serait pas rendu et pour le surplus, cette affaire pourrait vous attirer des ennuis ».
Cette anecdote illustre magnifiquement les caractères et les personnalités des deux adversaires directs de la bataille de Marseille : le panache et le respect de la parole donnée chez le vainqueur ; et chez le vaincu, l’amertume d’un officier persuadé d’avoir défendu l’honneur de l’armée allemande sans se rendre compte qu’il avait en réalité mis son honneur au service du diable.